un beau récit d’amour filial

poster_136846 Il y’a quelques jours, je parlais ici de Jours sans faim, la fiction autobiographique de Delphine de Vigan sur sa période anorexique. J’avais alors adoré son écriture qui s’attachait à tout décrire sans sombrer dans le pathos.

Rien ne s’oppose à la nuit avait fait un carton à sa sortie, mais n’ayant pas forcément les moyens financiers pour acheter des livres en grand format, j’avais préféré attendre sa sortie en poche.

A la lecture du résumé, je m’attendais à lire un livre que l’auteur aurait écrit en se souvenant de sa mère. Ce n’est pas exactement le cas. Rien ne s’oppose à la nuit est plutôt un récit pour comprendre, pour pardonner la mère disparue. En nous racontant l’histoire de sa mère depuis sa naissance, les souvenirs des uns et des autres sur Lucile, et ses sentiments à l’écriture de ce livre, Delphine de Vigan nous livre un bel hommage, récit d’amour et de pardon. En revenant sur les moments difficiles, en les analysant de son point de vue de femme adulte, c’est à la fois une libération pour la Delphine adulte ainsi que pour la Delphine enfant.

Ce livre n’est pas une réflexion sur la disparition d’un être cher, c’est en fait un traité de paix posthume. Gros gros coup de coeur!

Jours sans faim

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En raison de mon histoire personnelle, j’ai beaucoup hésité à lire ce livre, craignant de trouver tous le pathos et les clichés généralement nécessaires pour faire vendre un livre du genre. Il n’en est rien.

    Laure , 39 kilos, au bord de la mort, décide dans un dernier sursaut qu’il est temps de vivre. Elle nous raconte ses trois mois d’hospitalisation et son chemin vers une guérison lente et difficile.

    Jours sans faim est un récit est autobiographique, mais au travers d’un personnage fictif, à qui il est plus « facile » de faire dire l’horreur de la maladie.  Laure est réduite à « elle », elle ne se donne plus le droit d’exister en tant que personne et se réduit à un corps dépourvu d’énergie. Le récit est clinique, sans état d’âme et n’épargne que peu de choses au lecteur. Il est cependant très touchant, car l’on sent bien que derrière ces mots froids, se cachent les sentiments que l’auteur se refuse à exprimer, de la même manière qu’elle refuse de manger. Après une très longue période (probablement, l’auteur ne nous le dit pas) où l’envie de se laisser disparaître à pris le pas sur tout raisonnement logique, Laure nous raconte, à travers son parcours de soin, son cheminement vers un début de vie.

 

      Un livre court et poignant, à lire d’urgence pour combattre les clichés liés à l’anorexie. Un très beau témoignage d’espoir!

 

Extrait:  » Elle a capitulé pour quelques kilos, pour conjurer le péril, pour pouvoir tenir, survivre, c’est tout. Mais elle n’a pas renoncé. Elle ne veut pas perdre le contrôle. La vie d’avant n’est qu’un souvenir anesthésié et la vie d’après se chuchote comme une promesse impossible. Elle ne veut pas guérir pour parce qu’elle ne sait pas comment exister autrement qu’au travers de cette maladie qui l’a choisie, maladie dont on parle dans les journaux et les colloques, une quête aveugle et obscure qu’elle partage avec d’autres, complices anonymes et titubantes d’un crime silencieux perpétré contre soi. Il faudra du temps pour comprendre pourquoi elle en est arrivé là. Pour l’instant, elle s’est repliée sur ce trou noir qu’elle a dans le ventre et qui l’aspire de l’intérieur. Le corps a pris le dessus, le corps en manque, réduit comme peau de chagrin, nié jusque dans son existence, il occupe maintenant le devant de la scène -le paradoxe ne lui a pas échappé- à bout de souffle, il s’insurge contre cette maltraitante qu’on lui inflige depuis des semaines, il se débat. Toute occupée à cette béance, elle ne sent plus rien d’autre, elle ne pense plus.

  Plus tard, elle comprendra qu’elle cherchait ça entre autres choses, détruire son corps pour ne plus rien percevoir du dehors, ne plus rien ressentir d’autre dans sa chair et dans son ventre que la faim. Il faudra du temps pour refaire le chemin à l’envers, remonter le plus loin possible en arrière, jusqu’aux premiers dégoûts, aux premiers aliments virés du frigo sans préavis, remonter plus loin encore, quand il faudra sortir de nulle part ces blessures intactes conservées en chambre froide, pour tenter d’expliquer la construction ou le choix de son symptôme. Dans le désordre souvent, il faudra extraire avec précaution ces souvenirs entreposés comme des cochons égorgés, suspendus par les pieds, leur peau maculée de sang séché, il faudra lutter pour ne pas faire machine arrière, à cause de l’odeur de pourriture qui les étreint et qui empêche qu’on s’y attarde trop longtemps. »